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Camp d'internement administratif de Rouillé

Les premiers camps d'internement apparaissent en 1939. De 1940 à 1944, la France se couvre de barbelés pour exclure les individus jugés indésirables. A partir de 1942, ces lieux sont les antichambres de la déportation de persécution et de répression.

Des camps d'internement en France

La promulgation par le gouvernement Daladier d’un décret-loi le 12 novembre 1938 autorise l’internement administratif des étrangers « en raison de leurs antécédents judiciaires ou de leurs activités dangereuses ». Il est couronné par la loi du 18 novembre 1939 qui offre la possibilité aux préfets d’interner tout individu, étranger ou non, suspecté de porter atteinte à la défense nationale ou à la sécurité publique. La France se couvre de barbelés.

C’est dans ce contexte que les autorités françaises créent le camp d’internement de la route de Limoges à Poitiers en 1939.

L’État français hérite de ce vaste réseau de lieux d’internement, réservé jusqu’alors aux républicains espagnols, aux communistes, aux nomades,…

Un outil de répression

Sur la commune de Rouillé située à 35 km au sud-ouest de Poitiers, un « centre de séjour surveillé » ouvre ses portes le 6 septembre 1941. Camp d’internement administratif, composé d’une quinzaine de baraques en bois, il est réservé à l’internement des « politiques » (pour l’essentiel, il s’agit de communistes, d’opposants au régime de Vichy et au nazisme,…), des coupables de « marché noir », « des droits communs » (bandits, voleurs,…), des « indésirables étrangers » (Russes, Italiens, Portugais, Espagnols, Arméniens,… Jusqu’à 18 nationalités se côtoient). S’étendant sur une surface d’environ 1,5 hectares, clos par une double rangée de barbelés et dominé par deux miradors pour la surveillance, ce camp est installé à proximité de la gare et des habitations.

Les liens semblent étroits entre internés et population locale facilités entre autres, par la présence d’un chemin longeant l’enceinte du lieu. À travers les barbelés, des conversations s’improvisent. Les relations perdurent après la guerre. En témoigne la richesse des objets fabriqués par les internés dans les ateliers et conservés précieusement par la population qui, 65 ans après la libération du camp les 10 et 11 juin 1944, sortent de l’ombre grâce à l’action de l’association ADEL.

Conditions de détention

Surpopulation et travail forcé

Les conditions de vie – alimentaires et sanitaires – des internés sont déplorables. La nourriture est presque exclusivement végétarienne (rutabagas, carottes à vache, topinambours…). Sous la surveillance de gardiens français (peu formés à leur fonction et mal accueillis par la population de Rouillé chez laquelle, parfois, ils logeaient), le nombre d’internés fluctue entre 1941 et 1944 : de 149 détenus à l’ouverture à 654 en septembre 1942 pour redescendre ensuite à 379 en juin 1944 à la veille de l’attaque du site par les Francs-Tireurs et partisans. 47 détenus évadés rejoindront les rangs de la Résistance. Depuis le 13 novembre 1942 est créé à l’intérieur du camp un atelier de fabrication de jouet où travaillent les internés au profit des œuvres sociales du régime de Vichy. Avions, coffrets, maquettes de bateaux, cannes… sont ainsi vendus.

Aide envers les détenus

Grâce aux actions respectives de Sœur Cherer (assistante sociale) et de son chauffeur Raymond Picard (commerçant à Lusignan), de Georges Debiais (marchand de grains à Saint-Sauvant), du Dr Cheminée (médecin du camp et résidant à Rouillé), de Camille Lombard (photographe) et de nombreux anonymes, les conditions de vie des internés s’améliorent peu ou prou. Des évasions sont recensées.

Dans le cadre de la politique des otages instaurée par les autorités d’occupation en représailles d’attentats perpétrés contre les troupes d’occupation, neuf internés du camp de Rouillé seront désignés et exécutés sur le champ tir de Biard près de Poitiers les 7 mars et 30 avril 1942.

Témoignage de Raymond Picard à propos de Sœur Cherer au sein du camp

« Sa cornette, son imposante personnalité et sa parfaite connaissance de l’allemand étaient des atouts dans les circonstances du moment. Par la Croix-Rouge, par des dons, elle avait monté un véritable magasin d’effets qu’elle distribuait aux détenus du camp de Rouillé comme à celui de Poitiers suivant leurs besoins. Elle n’oubliait personne. Comme assistante sociale des camps, cette activité était tolérée [...] Un jour, une mission allemande arriva pendant que nous procédions à un tel déchargement (de viande cachée dans des caisses de vêtements). Sœur Cherer s’avança vite au devant d’eux et avec une aussi hautaine attitude que ses interlocuteurs, elle leur parla aussi longtemps que dura le déchargement. Celui-ci terminé, elle me commanda sèchement d’avancer et, devant les Allemands au garde-à-vous, elle monta dans le camion et nous sortîmes du camp avec la caisse à double fond qui contenait, comme d’habitude, le courrier que les détenus envoyaient à leurs familles. »

Le camp aujourd'hui ?

Stèle Camp de Rouillé © Conservatoire de la Résistance et de la Déportation des Deux-Sèvres et des régions limitrophesAujourd’hui, sur le site transformé en groupe scolaire, aucune trace ne subsiste de l’internement. Seule est visible la plaque commémorative, intégrée depuis le début des années 2000 dans « Les Chemins de la Liberté » portant pour inscription :

« 1941-1944 Sur l’emplacement de cette école, se dressait un camp hitlérien de concentration. Des hommes luttèrent, souffrirent et moururent, pour la France et la Liberté ».

Elle est complétée par une plaque à la mémoire des hommes désignés otages et fusillés sur le champ de tir de Biard près de Poitiers et agit comme vecteur de la mémoire de la répression.

Quant au devenir des baraquements, certains ont été transformés par la commune après guerre en lieux d’échanges et de convivialité, d’autres ont été vendus. Seul un baraquement subsiste chez un particulier.

Un ancien détenu raconte

Témoignage d’André Forestier, interné au camp de Rouillé d’août à septembre 1942

 

« A notre arrivée au camp, nous fûmes accueillis par le commandant. Après les formalités, avec Jean Pouant, on nous a désigné la baraque 8. Grand bâtiment en bois situé pas loin de l’entrée du camp, un couloir central de chaque côté, des réduits limités par une planche de bois contenant deux grandes caisses en bois superposées servant de lit. Dans la caisse, une paillasse, un sac à viande, une couverture. J’ai eu droit au lit du dessus. Au centre du couloir, un poêlon à charbon, au fond les lavabos, un tuyau percé au-dessus d’une tôle arrondie dans laquelle s’écoule l’eau sale. Les WC, c’était un trou dans le parquet mais clos. […]

Tous les matins, c’était les corvées de pluches. Le menu du jour : carottes le midi et soupe le soir. Les droits communs occupaient la baraque n° 9 et une partie de la 12. Une autre baraque était occupée par les trafiquants du marché noir. Une baraque servait pour les exercices sportifs, deux baraques pour les réfectoires. Une construction en dur, les douches et un lavoir et, au milieu de tout cela, une esplanade. […]

Pour passer le temps, avec Jean Pouant, nous allions grossir la chorale dirigée par Paul Coupry, ancien de la chorale populaire de Paris. Le répertoire était de bonne qualité. Les anciens du camp étaient déjà rôdés. Je n’ai pas pu entrer dans l’orchestre car je n’avais pas de violon. Étaient présents, un violon, deux trompettes, un tambour. Tous les instruments venaient de l’extérieur. Un groupe artistique montait des pièces de théâtre. Il préparait « Le Médecin malgré lui ». Les costumes étaient fournis par la Sœur Cherer. Il y avait une petite industrie de meubles miniatures, d’objets en bois fabriqués par les internés. C’est par ce biais que j’ai déployé mes talents, je dessinais et peignais des motifs que je vernissais. Ensuite, je les échangeais dans la baraque contre de la nourriture. […]

Un jour, je fus désigné pour une corvée dans une carrière située à Migné. Elle servait d’entrepôt aux Allemands. Nous avons pris des caisses de munitions que nous avons transportées dans une caserne à Poitiers. […] 

Le 9 septembre 1942, à 8h30, alors que nous étions dans les lavabos avec Jean Pouant, nous apercevons depuis la petite fenêtre une camionnette pénétrer dans le camp. Un soldat allemand en descend. Un ancien du camp nous dit alors : «Tiens, en voilà qui vont partir en prison et peut-être casser leur pipe. » Quelques minutes plus tard, un gendarme arriva à la baraque et nous appelle tout en nous demandant de prendre nos affaires. Là, nous pâlîmes. Le chef du camp nous informe que nous sommes remis aux autorités allemandes pour être internés à la prison de la Pierre-Levée à Poitiers. […] »


Camp de Rouillé © Conservatoire de la Résistance et de la Déportation Deux-Sèvres
Camp de Rouillé © Conservatoire de la Résistance et de la Déportation Deux-Sèvres

En savoir plus

Quelques ouvrages

- Denis Pechanski, La France des camps. L’internement 1939-1945, Gallimard, Paris, 2002

- Amicale de Châteaubriant - Voves - Rouillé, Les Barbelés de Vichy, 1994

- André Forestier, Groupe OS-680, secteur de Thouars (1941-1942), témoignage tapuscrit, 2 tomes, Centre Régional « Résistance & Liberté »

Un site internet

Le site Vienne Résistance, Internement, Déportation : www.vrid-memorial.com

 

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