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Gerhard Léo (1923 - 2009)

Né en 1923 à Berlin, Gerhard Léo fuit l'Allemagne nazie dès 1933. A Paris, ses parents ouvrent une librairie. En 1940, son père, comme immigré allemand, est interné. Gerhard échappe à l'arrestation en raison de ses dix-sept ans. Réfugié dans le sud de la France, il intègre en 1943 un mouvement de résistance lié au parti communiste allemand. Arrêté après sa première mission, il s'évade et poursuit son combat dans un maquis corrézien.

Témoignage extrait de la conférence donnée à Thouars par Gerhard Léo le 20 décembre 1999

La Résistance allemande au nazisme

« Je vais vous raconter [...] la Résistance des Allemands antinazis en France au côté de la Résistance française. Vous savez qu’il y a eu beaucoup d’étrangers dans la Résistance : des milliers d’Espagnols, des Yougoslaves, des Italiens, des Polonais, des prisonniers de guerre et des déportés russes évadés, mais il est peu connu qu’il y a eu aussi des Allemands qui ont participé activement à la Résistance française : environ 1000 Allemands ont participé. Le nombre est modeste évidemment si l’on considère qu’en France entre 1940 et 1944 il y a eu entre 450 000 et 500 000 Allemands sur le sol français, mais je crois que cette participation des Allemands en France à la Libération de la France a quand même sa signification.

Je voudrais donc vous donner d’abord quelques données sur cette résistance des Allemands en France et je vous parlerai ensuite de mon propre engagement, de ma propre participation et de mes motifs pour faire partie de cette grande lutte de libération de votre pays.

Qui était ces mille Allemands ?

C’était d’abord des anciens combattants des brigades internationales en Espagne qui après la victoire de Franco sont venus se réfugier en France et ont été internés dans des camps dans des conditions d’ailleurs très malheureuses, près des Pyrénées : Gurs, Vernet, Argelès. Il y a eu environ 5000 Allemands antinazis qui ont participé aux brigades internationales dans cette lutte contre Franco et pour la République, pour la légalité en Espagne. 2 500 ont survécus, environ 2 000 sont venus en France.

C’était ensuite des immigrés politiques et raciaux d’Allemagne, beaucoup de jeunes d’origine juive qui se sont joints à cette résistance surtout de la deuxième génération, les fils et les filles des immigrés de 1933.

C’était enfin des soldats, des sous-officiers et des officiers de la Wehrmacht que nous avions gagné à notre cause de coopérer avec la Résistance et de ne plus participer aux crimes de guerre, à la guerre criminelle du régime nazi.

Comment sont-ils arrivés à cette résistance ?

Quelques uns [individuellement] par des relations qu’ils avaient nouées, mais la grande majorité a été amenée à participer à la Résistance française par une organisation qu’on appelait M.O.I (Main d’Oeuvre Immigrée). C’était avant la Seconde guerre mondiale une création de la CGT et du Parti Communiste Français pour organiser les immigrés d’Allemagne, de Pologne, de Bulgarie, de Hongrie, de tous les pays où les gens affluaient pour diverses raisons vers la France. Au début de la guerre, en 1941, l’organisation de résistance s’appelait Front National, ça n’a rien à faire avec le Front National de Monsieur Le Pen, je dirais bien au contraire, c’était un grand mouvement de résistance qui était dirigé par des communistes mais où beaucoup d’autres aussi ont milité. Le Front National a recueilli ces étrangers et leur a donné la possibilité d’être actifs au côté des français pour la libération du pays. On peut [...] penser du parti communiste ce que l’on veut, mais je pense qu’il a eu un grand mérite en donnant à des dizaines de milliers d’étrangers la possibilité de combattre aux côtés des français dans cette lutte pour l’existence des peuples contre le nazisme. Le réseau qui avait été formé déjà au début de 1941 pour les allemands s’appelait Travail Allemand (T.A.). [...] à partir de 1943, nous [appelâmes] ce mouvement Comité Allemagne libre pour l’Ouest pour être encore plus proche des buts de la lutte antinazie. Nous étions complètement intégrés à la résistance française surtout sous la responsabilité de l’organisation du Front National et du PC clandestin. Ainsi nous pouvions être présent dans toutes les villes, ce sont les Français qui nous donnaient [...], les fausses identités qui étaient nécessaires, les cartes d’alimentation qui étaient encore plus nécessaires, les logements clandestins, les contacts dans les villes, les possibilités d’imprimer. Nous avons sorti des tracts et des journaux pour les soldats allemands, pour les sous-officiers et les officiers en France. En 1943, plus de 200 000 exemplaires ont été distribués dans toute la France, il n’y a pas eu un soldat allemand, un sous-officier, un officier qui n’a pas eu en main, une fois, un de nos tracts, un de nos journaux ou qui n’en ait pas entendu parler.

Dans notre travail, l’apport des femmes et des jeunes femmes était extrêmement important. En général, elles allaient par deux voir si elles ne pouvaient pas nouer contact avec un militaire allemand, en général, dans un grand magasin où ils cherchaient quelque chose. [...] Elles s’offraient comme interprètes, commençant la conversation et sondant le soldat, le sous-officier ou l’officier, [pour voir] s’il était capable au moins de comprendre une argumentation, de l’accepter. Il fallait évidemment être très prudent dans chaque pas qu’on faisait dans ce sens.

Ensuite ceux d’entre nous, qui comme moi, parlaient parfaitement le français [...] étaient infiltrés avec des faux papiers français dans les Kommandanturs, dans les institutions allemandes pour être encore plus proches des allemands, pour être en mesure, ce qui était notre objectif depuis le début, de créer des groupements antinazis au sein des unités et évidemment pour recueillir des informations, des renseignements nécessaires pour la résistance et nécessaire pour les alliés.

Enfin, de nombreux allemands, notamment ceux qui avaient combattus en Espagne et qui avaient déjà une formation militaire, ont participé à la lutte armée dans les maquis.

Quel était l’impact de notre activité ?

Je voudrais à ce sujet vous donner deux exemples de militaires allemands, de groupement de militaires allemands que nous avions gagné à notre cause.

Un jour à Paris, je crois que c’était le magasin du Louvre, deux de nos jeunes femmes abordent un sous-officier qui cherchait à se faire traduire quelque chose, à se faire aider dans ses achats. Elles s’aperçoivent rapidement que c’est un antinazi. Elles nous contactent avec lui après quelques semaines, il leur a dit « écoutez vous devriez parler avec mon chef, je suis chauffeur du Colonel César Von Hofhacker de l’état major du général Stülpnagel. Et mon chef, un hobereau prussien, est un antinazi convaincu et il veut faire tout ce qu’il peut pour arrêter cette guerre et pour renverser le gouvernement criminel de Hitler ». Et c’est comme ça que le chef de notre mouvement est venu à plusieurs entrevues avec le Colonel Von Hofhacker qui s’est joint à notre mouvement. Le Colonel Von Hofhacker était à Paris l’âme du putsch du 20 juillet 1944. C’était lui qui était le plus décidé bien qu’il n’était pas le plus haut en grade. Il y avait aussi comme vous le savez Stülpnagel, commandant militaire et d’autres. C’est Von Hofhacker qui avait réussi à faire arrêter dans la nuit du 20 au 21 juillet, 600 officiers SS et la Gestapo à Paris qui [auraient du] être fusillés le lendemain Malheureusement, Von Hofhacker fut en minorité dans son groupement lorsque les officiers [apprirent] pendant la nuit du 20 au 21 juillet qu’Hitler n’était pas mort dans l’attentat de Stauffenberg. De plus, ils ont cru les promesses des officiers de la Gestapo qui disaient « si vous nous libérez de la prison tout sera oublié et personne ne parlera plus de cette fameuse nuit ». Les Gestapistes se sont faits libérer et ont immédiatement arrêté tous les gens du 20 juillet, tous les officiers malgré leurs promesses . Tous ont été condamnés à mort, César Von Hofhacker a été exécuté à Brandebourg près de Berlin en décembre 1945.

Je voudrais vous parlez d’un autre exemple aussi, à Paris, place [de] la Concorde. Il y a le ministère de la Marine qui était pendant l’occupation le siège de l’état major de la marine allemande pour la Manche et l’Atlantique. Il y avait une salle de téléscripteurs, à ce moment là, beaucoup de liaisons se faisaient encore avec téléscripteur codé ou non codé. Les trois jeunes chefs de cette salle de téléscripteurs, trois jeunes marins quartiers-maîtres étaient gagnés à notre cause, Il y avait un chanteur d’opéra, un ouvrier métallurgiste et un ouvrier de l’industrie chimique. Ils étaient intégrés dans notre mouvement pour les opérations de la marine allemande dans l’Atlantique y compris les sous-marins. Pendant tout ce temps il n’y a pas eu de secrets pour la résistance et pour les Alliés. Lorsque le peuple s’est soulevé en août 1944 à Paris, nous avons dit à nos trois camarades, « qu’il est temps que vous quittiez votre unité ». Ils ont quitté l’unité en amenant presque un camion d’armes vers les parisiens en révolte. Ils ont fait le coup de feu avec les parisiens sur les barricades de Paris en apprenant aux jeunes Francs Tireurs et Partisans [F.T.P.] et aux jeunes F.F.I. le maniement des armes allemandes. Ils ont fini la guerre dans le premier régiment du Colonel Fabien. Ils sont allés avec ce régiment, même après la mort du Colonel Fabien, jusqu’en Allemagne.

C’était évidement dans tous les cas [...] un travail dangereux et difficile. Nous avons une liste de 127 morts, nous savons qu’elle n’est pas exhaustive, qu’il y en a d’autres que nous ne connaissons pas encore. Beaucoup de nos camarades ont disparu tout simplement dès leur arrestation, ils sont probablement morts sous la torture et n’ont pas été transféré vers un tribunal militaire.

La résistance de Gerhard Léo en France

Gerhard Léo - Tous droits réservésJe commence par la nuit du 27 février 1933 à Rheinsberg, petite ville dans les environs de Berlin. Mon père était un avocat, il avait mené des procès contre les nazis notamment un procès contre Goebbels.

Goebbels avait prétendu dans un discours, en automne 1930, que le pied-bot dont il était affublé et qui était souvent ressorti par des caricaturistes disait « si les gens savaient l’origine héroïque de mon pied-bot, ils ne plaisanteraient pas là-dessus, en tant que patriote allemand, j’ai été arrêté par les troupes d’occupation françaises en Rhénanie et j’ai été torturé à Cologne en présence du général commandant la place ». Ça a été publié dans deux journaux Der Angriff et dans le Das Schwarze Korps, journal des SS. Le Gouvernement français s’est inquiété de cela. Le Général commandant la place de Cologne était déjà en retraite, mon père qui l’a bien connu par la suite, [était] un homme très cultivé, [qu’]on ne voit pas du tout dans une cave de torture. Et ensemble avec un autre avocat qui était un ténor du barreau à Berlin à ce moment là, le professeur docteur Frey, mon père a mené un procès de diffamation contre Goebbels en réclamant comme c’est la coutume en France 1 franc de dommages et intérêts à Goebbels car l’honneur ne se mesure pas en argent. C’est mon père qui avait fait les recherches. Il avait trouvé une photo de Goebbels bébé nu sur la peau d’ours, c’était une photo caractéristique à ce moment là, avec un pied-bot. Il avait trouvé une photo de Goebbels comme écolier avec sa classe où il présentait son pied-bot. Il avait trouvé aussi les papiers militaires de Goebbels qui en 1914 a été réformé de l’armée allemande parce qu’il avait un pied-bot et à ce moment là, il fallait que les soldats marchent encore beaucoup. Donc c’est avec ces preuves là qu’il est allé dans le procès et la partie adverse, l’avocat de Goebbels, c’était d’ailleurs le docteur Franck qui était plus tard gouverneur général en Pologne, un des grands criminels de guerre a dit tout de suite, bon nous renonçons et ils ont publié tout cela dans les deux journaux, ils ont donné 1 franc de dommages intérêts au Général, le docteur Franck s’est avancé ensuite vers mon père et il a dit « maître Léo, ce jugement vous ne l’oublierez jamais et puis on vous le rappellera », et voilà donc les nazis en 1933 au pouvoir. Mon père disait bien « ils vont se venger ».

Le 27 février 1933, c’était une date vraiment fatidique, c’était la fin de la démocratie et de la république en Allemagne parce que les SA et les SS, c’étaient les gros bras du parti nazi, [...], étaient devenus d’un jour à l’autre police auxiliaire avec toutes les attributions de la police et bien davantage ils pouvaient arrêter n’importe qui, l’amener dans des prisons, dans leurs propres prisons, dans des caves de torture. Ils pouvaient tuer et tout cela c’était avec une impunité garantie. Et cette nuit là, dans la nuit du 27 au 28 février, il y a un camion rempli de SA qui s’est arrêté devant notre maison. Ils ont sauté par terre. Avec leurs mousquetons, ils ont enfoncé la porte, ils ont sorti mon père déjà ensanglanté pour le jeter sur le camion et l’amener vers un sort incertain. Moi, j’avais dix ans, j’ai vu tout cela un spectacle insupportable. C’est cette nuit là que je suis devenu antinazi, à dix ans, car le visage que j’avais vu du nazisme [...] était son visage véritable. C’est ce qu’il a fait en Allemagne et partout dans les pays qu’ils ont occupé, ne respectant aucune loi seulement leur dictature, leur répression, leur crime.

Mon père nous l’avons appris seulement des semaines après son arrestation, avait été interné dans un des premiers camps de concentration près de Berlin, Oranienburg [Brandebourg] à ce moment là, encore un petit camp incomparable au grand camp de Sachsenhausen qui a été établi en 1937. Après bien des malheurs là-bas, il avait des amis influents, il a été libéré provisoirement. Mais un procès était en préparation contre lui, Goebbels voulait refaire le procès pour prouver qu’il avait vraiment été torturé par les Français à Cologne. Et mon père disait, « moi je connais des juges allemands, je sais qu’ils donneront raison à Goebbels bien qu’il n’y ait aucune preuve ». On lui avait confisqué son passeport. Un avocat international qui allait partout faire son travail dans toute l’Europe !

Alors mes parents ont décidé de quitter l’Allemagne sans papiers. Et par des amis nous avons pu passer la frontière belge qui était déjà très gardée à ce moment là. Nous sommes venus nous fixer en France. Mon père a ouvert une petite librairie, rue Meslay, place de la République à Paris, la librairie LIFA, librairie Française et Allemande, où il essayait de vendre et de prêter surtout les premiers livres antinazis en langue allemande qui commençaient à paraître en Suisse, en Hollande et même à Paris. Et moi j’étais un de ses lecteurs les plus assidu bien que je ne payais absolument rien. Et le soir, il y avait des conférences dans notre petite librairie. C’était difficile pour les immigrés allemands [...] de louer des salles, ils n’avaient pas de soutien, ils n’avaient pas d’argent pour consommer dans les cafés. Alors j’ai entendu à douze ans, à treize ans, j’ai entendu des conférences de Anna Seghers, de Lion Feuchwanger, de Egon Erwingich [?], de Friedrich Wolf et d’autres et c’est dans cette atmosphère que j’ai grandi. J’ai milité chez les Faucons Rouges à Paris, cette organisation d’enfants et de jeunes du Parti Socialiste.

Avec tout ce passé, avec toutes ces expériences il aurait vraiment été étonnant que je ne tâche pas à m’engager dans la Résistance et j’étais décidé depuis le premier jour de l’arrivée de mes compatriotes en France de me joindre à la Résistance française.

Évidemment ça ne se fait pas si facilement, il faut avoir des entrées, il faut connaître quelqu’un. A partir de 1942, j’avais des relations étroites déjà avec le réseau T.A. (Travail Allemand) et en 1943, au mois de mai, mes camarades m’ont appelé à Toulouse. Et comme je parlais bien le français ils m’ont donné des papiers comme un jeune étudiant [en allemand] à Lyon, Gérard Laban, qui devait cesser ses études qu’il avait déjà fait pendant 2 ans là-bas, pour gagner de l’argent, Où peut-on gagner de l’argent ? Évidemment dans les institutions de l’armée allemande. Et j’ai réussi à devenir l’interprète principal de [la] TransportKommandantur de Toulouse, une Kommandantur importante qui régissait tout le transport de la Wehrmacht dans le sud-ouest de la France. Quand on connaît les transports d’une armée[...], on connaît aussi ses intentions et ses projets pour l’avenir en général. J’ai donc fait du renseignement, j’ai essayé de collecter le plus d’informations sur leurs systèmes et sur leurs stratégies des transports. Et puis j’avais évidemment une deuxième tâche de former un mouvement, un groupement d’antinazis au sein de la Kommandantur. Pour vous le dire tout de suite, je n’ai pas réussi à le faire. C’était très difficile.

Je voudrais quand même vous dire un mot sur l’état d’esprit des soldats, des sous-officiers, des officiers en France. Ils considéraient, en général, leur séjour en France comme des espèces de vacances du Front de l’Est. Tout le monde craignait d’être renvoyé ou envoyé sur le Front de l’Est, beaucoup venait de là-bas après avoir été blessé. Il n’y avait plus de certitude chez eux de gagner la guerre comme en 1940. Tous étaient très soucieux et puis il y avait les bombardements en Allemagne dans leurs familles. Mais ce qui les préoccupaient particulièrement, c’était la connaissance des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité surtout en Pologne et en Russie. Après 1945 beaucoup d’allemands et surtout des héros, les militaires aussi ont dit « mais on ne se savaient rien nous, on ne connaissait pas » mais je peux vous certifier que les allemands avec qui j’ai parlé en 1943 là-bas, en été, en automne, en hiver, ils connaissaient, ils savaient ce qui se passait en Russie et en Pologne. Ils avaient vu eux-mêmes les massacres de civils par centaine, par milliers, d’autres leur en avaient parlé et ça les hantaient. Et moi, je pensais que c’était quand même une occasion de leur dire, de pouvoir leur dire « à un certain moment mais il faut que vous vous détachiez de ce gouvernement criminel, que vous renversiez Hitler, que vous rejoigniez la résistance le plus tôt possible, que vous ne participiez plus aux crimes de guerre ». [...] J’avais des sympathies parmi eux mais leur raisonnement était tout à fait différent. J’ai entendu plus d’une fois « après tout ce que nous avons fait en Pologne et en Russie, si nous perdons la guerre et si les alliés faisaient la même chose avec nous, il n’y aura plus de peuple allemand donc on ne peut plus perdre la guerre ». C’était la situation à ce moment là. Et pour vous dire, combien les criminels nazis avaient réussi à tirer dans leur camp des gens comme mes interlocuteurs, qui au fond étaient des gens honnêtes et qui étaient révoltés par ce qu’ils avaient vu, entendu des crimes de guerre dans les pays de l’Est.

J’ai quand même tenu 10 mois dans cette position, qui était une position très difficile. Et puis faut dire que moi je n’étais pas toujours aussi prudent qu’il fallait l’être. J’avais 19 et 20 ans et puis je voulais aller de l’avant, je me rendais très bien compte que c’était les derniers mois de la guerre en France, la dernière année du moins.

J’ai été arrêté par l’Abwehr (Service Secret de la Wehrmacht) fin février 1944 à Castres dans le Tarn lorsque j’essayais de recruter pour nous un sous-officier de la Wehrmacht dans cette unité du Tarn. J’avais un tract sur moi et puis mon interlocuteur m’avait vendu. Il n’y avait pas beaucoup de chance d’échapper, j’ai été accusé par le Kriegswehrmachtgericht le tribunal militaire allemand de Toulouse qui siégeait dans le Capitole, dans la même salle siégeait la justice de paix à Toulouse. En tant de paix, j’étais accusé d’abord [de] refus de servir dans l’armée allemande, j’aurais dû me présenter aux unités allemandes en disant « bien voilà est-ce que je peux m’intégrer dans votre armée » ce que je n’ai pas fait évidemment. Ensuite [de] désagrégation systématique du moral de l’armée allemande et troisièmement [de] haute trahison puisque j’appartenais à un réseau qui avait pour objectif le renversement du gouvernement nazi et [de] terminer la guerre. Je suis passé devant le conseil de guerre le 03 mai 1944 mais le tribunal n’a pas émis un jugement à ce moment là pour plusieurs raisons : La raison principale, c’était l’avis du général qui présidait les juges, [il] disait [que] « les crimes de cet homme sont si abominables qu’on ne veut pas le faire juger par un tribunal régional, il faut au moins qu’il soit juger par le haut tribunal de la Wehrmacht à Paris sinon par le Tribunal du Peuple ». ( [ce] terrible [...] tribunal à Berlin). Et on a donc remis à plus tard le procès, le 1er juin 1944, quelques jours avant le débarquement si vous vous rappelez. Cinq feldgendarmes m’ont amené enchaîné dans un compartiment spécial du rapide Toulouse vers Paris pour être livré à la prison de Fresnes et comparaître là, devant le tribunal suprême de la Wehrmacht à Paris, 2 ou 3 jours plus tard. C’était donc quelques jours avant le débarquement, les partisans étaient partout actifs dans toute la France, surtout en interrompant les voies de chemin de fer pour couper la voie si c’était possible, aux renforts allemands qui allaient arriver en Normandie. Et le train dans lequel j’étais transporté s’est arrêté en gare d’Alassac, toute petite gare en Corrèze. [...] (le rapide Toulouse/Paris s’arrête toujours à cette gare). [...] Le chef de gare s’est adressé aux voyageurs en leur disant « le train ne peut pas aller plus loin. [...] A Estivaux, 4 kms plus loin, les rails ont sauté par un acte de sabotage. Descendez tous », alors tous descendaient et je restais seul avec mes 5 feldgendarmes dans le train.

La nuit tombée on entendait un combat dans la ville d’Alassac. C’était mes camarades F.T.P. [Francs Tireurs et Partisans] qui attaquaient la gendarmerie pour leur prendre les armes, question de routine là-bas. Et le chef de gare qui faisait parti de la résistance a pris son vélo, il est allé les voir, il a dit « mais il faudrait que vous alliez à la gare, il y a un train immobilisé et il y a un compartiment avec des feldgendarmes, ils avaient leur plaque qui était attachée au cou et les français savaient que c’était des feldgendarmes et j’ai l’impression qu’il y a un prisonnier avec eux ». Alors ils sont arrivés. Ils ont attaqué au petit matin. Ils ont mis les feldgendarmes en fuite. J’ai eu beaucoup de chance, le chef des feldgendarmes me dit dès que les coup de feu commençaient,[...], parce que moi je souriais à ce moment là, plein d’espoir, il disait « ne vous faite aucun espoir, avant que nous ont doit sortir d’ici, on vous loge une balle dans la tête ». Et c’est ce qu’il a fait, il a sauté un certain moment, ils ont sauté sur le ballaste et à contre voie. Il a dirigé son pistolet vers moi et j’ai senti le coup. J’ai pensé c’est terminé, puis en même temps j’ai pensé puisque je pense que c’est terminé je dois vivre encore. En effet, la balle avait effleuré seulement l’oreille. A la tête ça saigne [toujours beaucoup]. Mais au fond, je n’avais rien, j’avais une égratignure et les partisans sont arrivés.

Ils m’ont mené chez le forgeron du village qui existe aujourd’hui encore, je suis en rapport avec lui, qui a mis mes mains sur l’enclume et qui a cassé la chaîne avec un coup de marteau. Et ils avaient trouvé, dans leur précipitation les feldgendarmes avaient oublié une sacoche en cuir dans le compartiment, où il y avait une partie de mon dossier, une caractéristique surtout avec l’énumération de mes crimes et puis ce qu’ils pensaient de moi. Ils ne pensaient pas [du] bien de moi les juges militaires allemands. Alors ils avaient un Alsacien avec eux qui leur a traduit ça. Ils ont vu que j’étais un antinazis allemand.

Ils m’ont offert d’être intégré dans leur unité la 305ème Compagnie des Francs Tireurs et Partisans [F.T.P.] de la Corrèze, 3ème Région Militaire. J’ai reçu ma première mitraillette encore sur le quai de la gare. J’ai suivi leur combat surtout contre la Division SS « Das Reich » qui, par le Limousin, essayait de gagner par la route, la voie de chemin fer leur était absolument interdite par notre activité, [...] la Normandie. Et nos combats n’ont pas pu les arrêter bien sûr, mais nous leur avons fait perdre 4 journées et demie dans leur marche vers le front de la Normandie. Et le Général Eisenhower était d’avis en tout cas que ces 4 jours et demi étaient peut-être décisifs pour la réussite de la première vague d’assaut des libérateurs alliés pour la France. J’ai donc combattu dans les Forces Françaises de l’Intérieur, puis [dans] l’Armée Française jusqu’à la fin de la guerre. [...] J’avais un engagement, j’avais fait un engagement jusqu’à la fin de la guerre.

Et je suis rentré dans mon pays le plus tôt possible pour essayer d'aider à la reconstruction d'une Allemagne, où ce que nous avons vécu ne serait plus jamais possible, avec une certaine idée de la France que l'on peut avoir seulement que si l'on a vécu longtemps dans ce pays, si l'on connaît bien sa culture, son histoire et si l'on a lutté ensemble avec les Français pour leur liberté.

Réponses de Gerhard Léo aux questions posées par l'auditoire

Comment pouvait-on se faire enrôler dans une Kommandantur à votre âge avec un excellent accent Allemand, avec un passeport (qui était à quel ordre à l’époque ?), une carte d’identité. Vous aviez une carte d’identité française ?

Oui. Une carte d’identité française et même des papiers comme étudiant à Lyon qui avait quand même deux ans d’étude là-bas avec des certificats etc. Si on avait demandé aux professeurs, ils auraient dit oui, il a travaillé chez nous pendant deux ans. Je l’explique dans mon livre en détail comment ça ce faisait, au fond c’était très simple. Il y avait des bureaux de placement Allemands en France dans toutes les villes, dans toutes les grande villes, leurs tâches étaient surtout de récolter de la main d’œuvre pour aller travailler en Allemagne, bien sûr, mais ils pourvoyaient aussi les unités et les institutions allemandes en employés Français. Les Allemands, la Wehrmacht avaient besoin de plus en plus de ces Français qui travaillaient chez eux parce qu’ils envoyaient chaque soldat disponible au front de l’Est. Toute l’administration, tout ce qui n’était pas secret, était confiée à des employés français. Je suis allé à un de ces bureaux de placement. Ils ont vérifié mes papiers. Ils les ont trouvé en très bon ordre. Ils m’ont fait faire un interrogatoire et puis ils m’ont fait passer un examen. Je parlais allemand avec un accent français assez prononcé et dans ma dictée j’ai glissé quelques fautes de gallicisme mais ça suffisait. J’ai été accepté quand même par eux, ils avaient un tel besoin de main d’œuvre qu’ils n’avaient pas le temps de vérifier à fond. Il y a eu des vérifications à fond après, ils avaient eu des contacts mais c’est venu bien après.

Dans votre travail d’interprète, aviez-vous reçu une formation aux méthodes de renseignement ? Où avez-vous appris ? Aviez-vous conscience des risques que vous encouriez ?

Enfin, j’étais évidemment conscient des risques. Les Allemands, les nazis condamnaient à mort pour moindre chose que ce que je faisais là. Je n’avais pas eu une formation pour le renseignement mais mes camarades au réseau T.A. (Travail Allemand) qui étaient beaucoup plus expérimentés que moi, savaient à quoi il fallait faire attention, ce qu’il fallait rapporter. C’était un travail d’ailleurs qui était difficile parce qui il y avait une liste complète des transports qui était ultra secrète que seuls certains officiers connaissaient. Mais il y avait la correspondance avec les chemins de fer français, sur les changements d’horaires de trains qui partaient de France pour Allemagne, où qui venaient d’Allemagne en France, où sur des trains supplémentaires. Cette correspondance là je l’avais, c’était moi qui la tenais. C’était évidemment une partie seulement où on pouvais quand même une vue d’ensemble. Par la négligence et la bêtise des officiers j’ai pu voir quand même certains documents qui donnaient une vue plus large, qui donnaient une vue aussi sur leurs stratégies. Par exemple, tout à fait par hasard, un de mes chefs, un officier avait oublié sur son bureau un dossier ultra secret. Il était sorti pour faire quelque chose de très important : il fallait qu’il achète du café au marché noir, rien de plus important que ça. J’ai eu le temps de compulser le dossier, [...Je suivais] les règles très précises de la clandestinité, j’étais en rapport seulement avec un homme à la fois que je rencontrais deux ou trois fois par semaine. J’avais aussi des moyens de le rencontrer rapidement, je savais qui lui transmettait ses renseignements à la résistance française, à une section appropriée au Front National. Une fois, il m’a dit par exemple " écoute on va abréger maintenant notre rencontre, moi j’aimais parler avec lui, c’était la seule personne que je voyais avec laquelle je pouvais parler librement. [Avec tous les autres, il fallait une force tout à fait différente]. On va abréger ça maintenant parce qu’il faut que je transmette ça tout de suite aux camarades français ". Je savais que c’était transmis par le Front National dans des bois, il y avait déjà cette coopération entre les mouvements de résistance, il y avait des mouvements de résistance en France qui étaient spécialisés dans le renseignement, qui travaillaient avec les Services Secrets américains ou britanniques et français, le BCRA à Londres. Il y avait [...] de multiples liaisons radio, je savais que des renseignements importants, que j’avais, prenaient ce chemin là, évidemment les renseignements importants ça " pleuvait " pas tous les jours.

Vous dites clairement que la Wehrmacht était impliquée dans les massacres à l’Est. Est-ce que vous pensez que cette idée est encore tabou en Allemagne ?

Très exacte, c’est une idée assez tabou encore, il y a une exposition excellente qui circule en ce moment en Allemagne, elle s’appelle " les crimes de guerre de la Wehrmacht " [NDLR : cf. art. Le Monde : dossier Allemagne Année Zéro, samedi 6 février 1999, pages 12-13, et Lundi 8 février 1999, pages 12-13]. Elle a été faite par un organisme non gouvernemental, c’est la Fondation Reemtsma à Hambourg. Une exposition excellente où la participation directe de la Wehrmacht à des crimes surtout dans l’Est, en Pologne, en Russie, dans les Balkans, en Grèce, en Yougoslavie est absolument prouvée. Cette exposition suscite des manifestations hostiles dans chaque ville où elle vient, les gens, suivant l’âge, vont dans la rue et disent que ce n’est pas vrai. Tous les soldats allemands n’ont pas participé à des crimes de guerre, c’est une chose très grave, où des crimes contre l’humanité qu’ont peut seulement le tranché d’une façon individuelle avec leurs responsabilités individuelles. Mais la Wehrmacht et la direction de la Wehrmacht a pris part à des crimes abominables et ce n’est pas pour rien qu’à Nuremberg les deux chefs de la Wehrmacht, Keitel et Jodl, ont été condamnés à mort et pendus pour crime contre l’humanité et un seul exemple, il y a eu plus de 6 millions de prisonniers de guerre soviétique, de l’armée soviétique qui se sont donc rendu à un certain moment, au cours des batailles, 2,5 millions ont survécu, les autres ont été assassiné par la faim, par les maladies, par le manque de soins, par les mauvais traitements, par la Wehrmacht il était dans les mains de la Wehrmacht, c’est-à-dire, c’est un crime qui est un peu comparable à l’holocauste si on réfléchi bien, dans sa dimension et dans sa cruauté, il faut faire la vérité la dessus, il faut que les allemands le sache, heureusement, moi je constate qu’il y a des progrès en Allemagne, c’est les historiens, c’est les institutions, de donner des images plus réalistes de la Résistance et en général de la 2ème guerre mondiale. Il y a un organisme à Berlin qui s’appelle Gedenkstätte Deutscher Widerstand Memorial, mémorial de la Résistance allemande, c’est une institution gouvernementale qui fait des expositions, qui fait des publications dans toute l’Allemagne et parle de ces choses là avec une grande franchise, une grande ouverture. Ils sont attaqués parfois " [...] Mais, [...] il y a en Allemagne une nouvelle génération d’historiens et aussi de responsables dans les ministères qui ont une opinion différente de leurs pères et de leurs grand pères sur ces questions très importantes.

Quand avez-vous eu connaissance de l’holocauste ? Quand vous êtes retourné en Allemagne, à la fin de la guerre, vous vous êtes réinstallé en Allemagne, j’aurais voulu savoir si vos voisins ou vos relations de travail connaissaient votre passé de résistant en France ? Avez-vous pu en parler ou avez-vous juste repris vos habitudes ?

Pour l’holocauste, je me rappelle au mois [...] d’octobre 1943, j’avais une rencontre avec supérieur dans le réseau qui s’appelait Hauegen, ancien combattant d’Espagne et il était tout bouleversé : " Tu sais ce matin j’ai eu une rencontre avec un soldat qui revenait de Pologne, il avait été là-bas dans une compagnie disciplinaire, il nous a parlé d’un camp qui s’appelle Auschwitz où des trains entiers arrivaient d’Europe Occidentale et certains trains étaient immédiatement conduits à la chambre à gaz et on tue, par millier [...] là-bas ". Nous étions tous les deux suffoqués. D’abord on cherchait des raisons pour dire que ce n’est pas possible. C’est vrai, nous avons discuté, je me rappelle, on discutait des crimes de guerre, mais un peu. Il y a eu des crimes de guerre aussi pendant la première guerre mondiale, un régiment bavarois avait tué les habitants d’une localité à la frontière belgo-française. Des officiers de sous-marins avaient tué sur les bateaux de rescapés après avoir coulé les bateaux alliés etc. Mais ce n’était pas les crimes systématiques ordonnés par la Direction Allemande. Mais cette fois-ci c’était cela qui était difficile pour nous de comprendre qu’on assassinait des hommes, des femmes et des enfants par millier, des juifs, d’autres aussi. Cela nous a bouleversé. Nous avons fait part dans nos tracts et dans nos journaux de ces informations. Évidemment, nous n’avions pas la connaissance détaillée comme on l’avait après le procès de Nuremberg lui a déroulé toutes ces horreurs. Ensuite, comment s’est passé le retour en Allemagne ? Moi, je suis retourné en 1945 en Allemagne de l’Ouest, il y avait déjà des zones différentes. Je me suis heurté en dehors du cercle d’amis qui pensaient comme moi, évidemment à de l’animosité, c’était très répandu de dire " vous nous avez donné un coup de poignard dans le dos, si vous n’aviez pas agi de cette façon on aurait peut-être gagné la guerre etc. " Il a fallu assez longtemps pour qu’en Allemagne de l’Ouest pour reconnaître la Résistance en tant que mouvement patriotique en vérité et en faveur du peuple allemand. Même si vous voyez les mémoires des femmes, des officiers du 20 juillet, ils parlent aussi de cette isolation qu’ils avaient en Allemagne et qu’on ne les estimait pas du tout. Ça a beaucoup changé, à mon avis, les événements de 68, la révolte des étudiants ont contribué à cela. Aujourd’hui, surtout les jeunes sont très sensibles à cette idée de lutter contre la dictature, de s’élever contre des crimes et de vouloir rétablir la liberté. Je parle beaucoup dans des écoles, le 27 janvier c’est le jour de la commémoration en Allemagne de la libération du camp d’Auschwitz, c’était une proposition du Président de la République qui avait été acceptée par le parlement et presque dans toutes les écoles on fait quelque chose sur la Résistance, sur les crimes nazis et je parlerais devant deux classes à Reinigendorf, c’est un lycée français où ils apprennent surtout le Français. Sur la deuxième guerre mondiale, sur les crimes d’Hitler et de tous ses complices et sur la résistance antinazie allemande et ça se fait beaucoup maintenant, pendant de longues années ça ne s’est pas fait de cette façon là.

Pouvez-vous nous dire comment s’est déroulé l’attentat contre Hitler au mois de juillet et pourquoi l’information a été donné aussi rapidement de la réussite de l’attentat alors qu’il était échoué et qui a amené pas mal de perturbations après du fait que l’attentat n’était pas réussi ?

Les historiens connaissent aujourd’hui chaque minute de cet attentat, le Colonel Stauffenberg a approché cette sacoche avec les explosifs aussi près qu’il le pouvait d’Hitler et à un certain moment Hitler qui se penchait sur la carte a donné un coup de pied à cette sacoche, elle était sous une table en marbre donc l’effet n’était pas comme si elle était à la place où Stauffenberg l’avait placée. Stauffenberg lui-même est sortit, il s’était fait appeler au téléphone par un camarade officier, il est sortit et il a vu l’explosion, une explosion extraordinaire dans cette baraque ou siégeait le haut commandement et il est rentré à Berlin avec la conviction qu’Hitler était mort.

Dans l’après-midi, ils ont appris que Hitler n’était pas mort mais l’action était engagée et surtout von Hofhacker qui était vraiment l’homme le plus décidé du groupe du 20 juillet à PARIS, il a dit à ses camarades officiers " bon, ce qui c’est passé au quartier général d’Hitler et à Berlin n’a pas tellement d’importance mais si nous arrêtons la guerre ici sur le front de l’ouest nous écourtons la guerre au moins d’une année et des millions de gens vivraient encore " et c’est vrai la dernière année était la plus meurtrière aussi bien dans les camps de la mort que sur les champs de bataille.

Et on avait, sans doute, aussi l’intention d’effacer l’existence des détenus ?

Oui, heureusement, ils n’ont pas eu le temps avec la rapide avancée soviétique et on voulait, c’était les plans des SS, on le sait, d’évacuer des camps tous les détenus, les tuer dans des marches interminables, avant de quitter Auschwitz ils avaient fait sauter tous les chambres à gaz qui étaient très étendues, pour nier cela et aujourd’hui encore y a des gens qui disent, il n’existe pas de photos de ces chambres à gaz, c’est exact, elles n’ont jamais existé, mais des dizaines, des centaines de milliers les ont vues.

Est-ce que vous pensez qu’on peut tirer des leçons de l’histoire ? Qu’est-ce que vous pensez du devoir de mémoire ? Que pensez-vous du rôle de l’éducation ?

Moi, je suis convaincu que l’expérience historique si elle est communiquée d’une façon sincère et convaincante alors il faut toujours dire toute la vérité, il faut pas cacher quelque chose, les jeunes s’aperçoivent aussi si on leur communique aussi sincèrement que possible des expériences du passé. Je crois que dans leur générosité les jeunes sont très ouverts à des idées de tolérance, de liberté, de condamnation absolue de tout racisme et de toute discrimination, [...] c’était les idées principales de la résistance. C’était le contenu du Conseil National de la Résistance en France, si on veut. Aussi bien en France qu’en Allemagne, je parle souvent avec des jeunes et je les trouve très ouverts à ces leçons de ne pas tolérer une discrimination quelconque, un racisme même lattant, que les droits de l’homme doivent être défendu à chaque moment et avec toute l’énergie. Je crois que cette idée a quand même fait son bout de chemin.

À votre avis, c’est un peu une question qui concerne les jeunes qui sont dans la salle, à quoi peut-on résister maintenant ? Aujourd’hui à quoi doit-on résister ?

Évidemment, aujourd’hui " c’est l’été " pourrait-on dire, nous vivons dans des conditions bien meilleures, incomparables à celles dont nous avons parlées ce soir. Mais, il y a des dangers, toujours. Ces dangers sont en Allemagne par exemple dans la xénophobie latente contre les communautés étrangères, contre les demandeurs d’asile, contre ces pauvres réfugiés qui arrivent d’Afrique, d’Asie, de pays pauvres qu’on accuse de tous les mots et qu’on rend responsable pour la crise économique qui a évidemment des causes tout à fait différentes que ces pauvres étrangers en Allemagne. Il y a aussi des décisions de l’administration et du gouvernement qui ne tiennent pas compte des conventions de Genève sur les réfugiés ou de la déclaration des droits de l’homme, des nations unies ou de la convention sur les réfugiés. Je crois qu’il faut être très attentif à cette discrimination d’une minorité à cette accusation d’une minorité, on sait à quoi ça peut mener. Ça commence par une minorité et ça peut s’étendre à tout un peuple. En Allemagne, en tout cas, c’est sûr, qu’il faut œuvrer pour cela. Moi, je m’occupe avec des jeunes, je suis le seul un peu plus âgé dans mon groupe de sans-papiers. Nous avons des prisons spéciales pour les sans papiers en Allemagne qui avant leur déportation sont mis sans aucun jugement pour avoir fait quelque chose, jusqu’à un an et demi, ils peuvent être mis en prison. Pour quelqu’un qui est innocent, être pendant un an et demi en prison ou un an, c’est quelque chose de terrible. On peut pas comparer ça à une prison pour un délit quelconque et ces gens là sont tout à fait désespérés et moi je crois qu’il faut prendre leur défense.

 


Gerhard Léo (Thouars 1999) © CRRL
Gerhard Léo (Thouars 1999) © CRRL

En savoir plus

­­- Léo G., Un Allemand dans la Résistance. Le train pour Toulouse, éditions Tirésias, 1997

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